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LA MORT DANS LES RITUELS INITIATIQUES

 LA MORT DANS LES RITUELS INITIATIQUES

La mort : une question existentielle qui nous occupe la vie durant, nous renvoyant à la solitude, l'inconnu, le néant, le vide, la finitude.

Dans la plupart des démarches initiatique, la mort symbolique permet le passage d’une vie, d’un état, à un(e) autre. La mort « réelle » ne se discute pas puisque personne n’en est revenu pour en parler. En cela la mort symbolique diffère puisqu’il y a un avant et un après.

Dans les sociétés traditionnelle, les rituels d’initiations créent un nouvel être qu’il faut réintégrer dans la société (le collectif), mais à chaque fois avec un nouveau statut : en général le passage de l’enfance à l’âge adulte. L’initiation crée une étape, une discontinuité dans le temps, comme un arrêt sur image nous permettant d’œuvrer au changement dans un temps suspendu où nous pouvons « mourir » à un mode de vie, une manière d’être, pour pouvoir accéder à l’étape de vie suivante (mettre du sens là où, sans cet « arrêt » symbolique, il n’y en aurait pas forcément).

 

L’initiation induit donc une « rupture » (une « mort), dans un continuum (le temps, la vie) visant à nous permettre de passer d’un état à un autre.

Dans tout les cas, les initiations comprennent des rituels de sortie qui consistent en un ré- apprentissage de la vie dans le nouveau statut. Ces rituel sont aussi dit de « réintégration », les âges formant des ensembles bien distincts, il faut apprendre pour pouvoir intégrer la nouvelle communauté d’âge.

Il s’agit ici d’abandonner la personnalité ancienne pour accéder ou y « substituer » une personnalité nouvelle, donc d’une mort et d’une renaissance.

Si l’on va un peu plus loin, on peut raconter le processus initiatique comme la manière de sortir du « ventre » du chaos pour apprendre à se tenir debout, un passage du ventre clos de la mère vers un accès au monde des Hommes (du féminin au masculin). L’initiation ayant ici le rôle, la fonction de tiers séparateur, fonction attribuée symboliquement au père.

Le passage par la mort symbolique, l’acceptation de notre statut de mortel reste peut-être une manière de contrer l'angoisse de l’inconnu. Pour y faire face, un premier pas pourrait être d’intégrer la condition d’un « être au monde » limité dans le temps : « Maintenant que tu sais que tu vas mourir, que fais-tu de ta vie ? ».

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Je me permets ici de vous proposer un autre voyage. Un voyage à travers d’autres traditions et en particulier une tradition Amérindienne du Mexique :

« Le Nord est le côté qui est à la droite du soleil. Terre de l'en delà et de l'au-delà de la vie : les vivants en proviennent, les morts y retournent.

Le Nord est aussi le pays de la Lune et de la Voie Lactée. Sa couleur est le noir.

Le Sud est le côté qui est à la gauche du soleil. Il est le pays du feu et du midi.

La complémentarité du Nord et du Sud est évidente. Elle est illustrée non seulement par la présence au Sud du Lapin, emblème typiquement lunaire, alors que la lune est localisée au Nord, mais aussi par le fait que réside au Sud le dieu de la mort, Mictantlecutli, alors que le pays de la mort est situé au Nord. C'est que Mictantlecutli donne la mort, que le rouge du sang sacrificiel mène à la nuit, comme la lame de silex plongée dans la poitrine du guerrier offert en holocauste.

Pour la pensée analogique, il y a un lien dans l'opposition : le Sud est l'opposé du Nord, mais le Sud mène au Nord, par ce principe de discontinuité cyclique, qui est la base des processus d'enchaînement initiatique de la mort et de la renaissance.

Pour les Mexicains, la croix directionnelle semble bien symboliser, dans ses deux axes, les deux mystères du passage de la vie à la mort (axe Sud Nord) et de la mort à la vie (axe Ouest Est).

L'Est est le pays de la naissance, ou de la renaissance, du Soleil et de Vénus. Il est associé à toutes les manifestations du renouveau, à la pousse de maïs, à la jeunesse, aux fêtes, aux chants, à l'amour. L'Ouest est le pays du soir, de la vieillesse, de la course descendante du soleil, de l'endroit où il va disparaître dans sa maison.

Ainsi les contraires sont reliés sur l'axe Est-Ouest que sur l'axe Nord-Sud. Et ces deux axes forment une croix au centre de laquelle se superpose et se résout la double dualité.

Ce centre qui n'est autre que la place de l’Homme. »

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Alors, comment résumer maintenant à quoi sert ce symbole prépondérant de la Mort dans les rituels initiatiques ?

Voici quelques pistes que j’ai suivi :

Utiliser l’inéluctable pour en faire un outil de progression (une forme de résilience), de transformation de l’Homme vivant, comme si repasser par le néant ou le chaos permettait une naissance vierge des traces du temps (se libérer de nos héritages, du poids des générations passées. Apprendre à nous libérer de nos liens/dettes/croyances, de ce que nous n’aurions pas choisi de manière « éclairée » - La mort « choisie » par opposition à la Mort « naturelle »/subie (Est-ce une façon de vaincre la mort imposée ? Un défi ?)

La réflexion sur la mort nous permet peut-être de créer symboliquement les conditions de la perte de tout ce qui nous est connu, de tout ce que nous possédons (ou croyons posséder). Les étapes qui précèdent la renaissance de « l’initié » racontent la dé-agrégation du corps et nous permet de percevoir furtivement la perte des fonctions rendues possible par le biais du corps et l’état d’impuissance que cela engendre. Plus de prise sur le monde, plus de prise sur quoique ce soit à vrai dire... Un rituel Tibétain appelé Cheud propose une méditation initiatique pendant laquelle on visualise la perte successive de toutes les parties de notre corps. Pour l’avoir pratiqué, je me souviens que perdre mes doigts, mes jambes ou tout autre partie externe de mon corps reste (à peu près) envisageable, mais à la fin, je n’arrive pas à imaginer arrêter de respirer, il y a là quelque chose de définitif que je ne peux pas envisager : c’est la perte/fin de tout ce qui m’est connu !

La frontière que les approches symboliques de la mort nous permet donc d’atteindre reste celle de notre Ego au-delà de laquelle il n’y a plus de « Soi » pour se poser de question.

Et je vous livre en conclusion une citation d’un de mes auteurs fétiches, Terry Pratchett :

« Il faut à tout prix que je lui parle, monsieur. Il est passé par une expérience de mort imminente ! — Comme tout l’monde. Ça s’appelle “vivre”, fit sèchement l’archichancelier. »